lundi 16 décembre 2013


 INVITATION: HOMMAGE À MAURICE LESTIEUX



Le 21 janvier, à la Sorbonne, 20H30


Salut Maurice Lestieux !


"Salut Maurice" comme il aimait à dire "Salut Léo" levant son verre, jouant de mille reflets,

à l'heure où s’embrasent les vignes de Castellina del Chianti.

Un salut amical et chaleureux au poète Maurice Gravaud-Lestieux, son œuvre et son univers artistique,

en lectures, musiques et chansons, par quelques-uns de ses amis poètes, musiciens, comédiens ou peintres.

Sophie Rousseau, Véronique de Guitarre, Etienne Champollion, Bertrand Burgalat, Antoine Coesens,

Eric Guilleton, Damien Roquetty ...  et Matthias Vincenot,

accompagnés de l’Ensemble DécOUVRIR.



Nous serons très heureux de votre amicale présence

Le mardi 21 janvier, 20 heures 30, à la Sorbonne,
Amphithéâtre Richelieu.

Entrée libre, veuillez réserver à cette adresse

agenda-culturel@paris-sorbonne.fr




"Chaque voix a des mots, tout parle"

le dernier livre de Maurice Gravaud-Lestieux vient de sortir aux Editions Josse&Prache.

Bientôt disponible en librairie vous pouvez d’ores et déjà le commander directement,

chèque de 19€ -franco de port- à l'ordre de la Sté La Terrrasse, 132 bd Pereire 75017 Paris .


samedi 14 décembre 2013

Compte rendu de la séance du 14 Décembre 2013: Edmond Jabès, recherches … par Didier Cahen


 Compte rendu de la séance du 14 Décembre 2013:

Edmond Jabès,

recherches …

par

Didier Cahen

Béatrice Marchale, Présidente du Cercle, Didier Cahen Photographie © Muriel Bergasa
Béatrice Marchal, Présidente du Cercle, Didier Cahen
Photographie © Muriel Bergasa

La séance de décembre était donc consacrée à Edmond Jabès et présentée par Didier Cahen, poète, essayiste, producteur radio et notamment auteur de Edmond Jabès  publié chez Seghers en  2007 dans la collection Poètes d’aujourd’hui.
Afin de nous faire découvrir "le plus célèbre des inconnus", Didier Cahen nous propose de poser quelques jalons biographiques et bibliographiques de celui qu'il considère comme l'homme des ruptures. La première à sa naissance en Egypte en avril 1912, né le 12, il ne sera déclaré que le 14. Ce décalage donnera naissance dans son oeuvre à une incessante quête de son identité. De même s'il meurt à Paris le 2 janvier 1991, Gallimard inscrira comme date de décès dans sa fiche biographique le 4 janvier. Il naît dans une famille italienne, de banquiers et surtout une famille de culture française. Sa famille est juive mais d'une judaïté sociale plus que spirituelle. 
La seconde rupture surgira lors de la mort de sa sœur dans ses bras, alors qu'il n'a que 12 ans. Il part alors à la recherche d'une langue qui surgit à l'interstice de la vie et de la mort.
La troisième rupture surgira de sa rencontre avec le désert. Parti à sa découverte en voiture, il se retrouve en panne et ne doit sa survie qu'à un nomade. Cette nuit d'angoisse le force à écouter le silence.
Il écrit un premier texte de jeunesse Maman en 1927 qu'il reniera par la suite. En 1931 il publie Je t'attends et parallèlement débute son engagement politique et éthique. En 1935 il se marie avec Arlette. Seule femme de sa vie, elle l'accompagnera jusqu'au bout et décèdera quelques mois après lui. Cette même année il débarque à Paris et rencontre Max Jacob qui deviendra son mentor.
En 1943 il publie Les chansons pour les repas de l'ogre, texte qui laisse transparaître la figure et la voix pleine de Jabès poète:
                        Je suis à la recherche d’un homme que je ne connais pas,
                        qui jamais ne fut tant moi-même
                        que depuis que je le cherche.
                        A-t-il mes yeux,  mes mains
                        et toutes ces pensées pareilles
                        aux épaves de ce temps ?

Guy Chaty a fait lecture de quelques textes   Photographie © Muriel Bergasa
Guy Chaty a fait lecture de quelques textes 
Photographie © Muriel Bergasa

La troisième blessure, la plus violente sans doute sera celle en 1944 de la découverte des camps de concentration. Il ne peut arriver à comprendre comment la langue allemande qui a donné tant de poètes et d'artistes a pu véhiculer ces messages d'horreur et de destruction. Face à la Shoah, il s'interroge sur sa propre judaïté, lui le survivant et sur la langue, le langage poétique. Il se sent presque coupable d'avoir survécu. Il part alors à la recherche d'une poésie inouïe avec Je battis ma demeure, recueil rédigé entre 1943 et 1956 et publié par Gallimard.
Ce questionnement métaphysique le conduit à l'écriture du Livre des Questions en 1963 qui comporte au total 7 volumes. Interviennent dans le récit une série de rabbins imaginaires qui viennent répondre aux interrogations de Sarah et Yukel comme le souligne la dédicace du livre:
                        Aux sources hautes de la vie et de la mort révélées, À la poussière du puits, aux             rabins-poètes à qui j'ai prêté mes paroles et dont le nom, à travers les siècles, fut le mien ,à             Sarah et à Yukel, à ceux dont les chemins d'encre et de sang passent par les vocables et par les hommes, et plus près à toi, à nous, à toi. 

 Didier Cahen,  Photographie © Muriel Bergasa
 Didier Cahen
Photographie © Muriel Bergasa

Enfin la dernière blessure sera celle de l'exil. En effet il est forcé de tout abandonner lors de la crise du Canal de Suez en 1957, en raison de son origine juive. À Paris il commence par travailler dans une galerie de peinture puis comme juriste dans une entreprise de publicité. Il contribue à la création d'un dessin animé Le petit Lion. Cet éloignement de la terre natale tout comme les ruptures précédentes l'invitent à repenser sa judaïté et à s'interroger sur son rapport à la transcendance. Il part à la recherche de l'Autre, l'Etranger, lui même:
                        Nomade ou marin, toujours, entre l’étranger et l’étranger, il y a – mer ou désert – un             espace délinéé par le vertige auquel l’un et l’autre succombent.
            Voyage dans le voyage.
            Errance dans l’errance.
            L’homme est, d’abord, dans l’homme, comme le noyau dans le fruit, ou le grain de sel dans             l’océan.
            Et, pourtant, il est le fruit. Et, pourtant, il est la mer.
In Un étranger avec sous le bras un livre de petit format, Gallimard, 1989.

Les assistants étaient nombreux à la Brasserie Lipp pour écouter Didier Cahen   Photographie © Muriel Bergasa

Les assistants étaient nombreux à la Brasserie Lipp pour écouter Didier Cahen
 Photographie © Muriel Bergasa

À la fin de cette présentation, Didier Cahen a pu répondre aux diverses questions de l'assemblée notamment sur la réception de Jabès et sur ses liens avec la peinture.

samedi 7 décembre 2013

Hommage à Maurice Lestieux

©Bernard Fournier
12/10/13 Hommage à Maurice Lestieux
Notre ami Maurice, qui fut douze années durant le Président du Cercle Aliénor, nous a quittés le 25 août dernier et son départ nous a laissés dans la stupeur, tant sa bonté, son sourire, sa disponibilité cachaient les problèmes de santé qu’il pouvait rencontrer.
Je connaissais Maurice depuis bien moins de temps que beaucoup de ses amis et proches ici réunis mais dès notre première rencontre, la sympathie fut entre nous immédiate et spontanée, il m’est apparu comme « un être de lumière ».
Les horaires stricts qui nous sont imposés pour la conférence prévue de longue date font que nous ne pourrons aujourd’hui rendre qu’un bref hommage à notre ami poète ; aussi, en attendant de lui réserver une séance dans le programme de l’année prochaine, tenterons-nous de compenser la brièveté de notre évocation par la qualité des textes choisis et la sincérité des témoignages.
Je commencerai donc par me faire le porte-parole de Monique Gravaud, l’épouse de Maurice, qui prie les membres du Cercle Aliénor de croire en ses fidèles pensées et nous charge de lire ce poème en guise de remerciements à tous ceux à qui, faute d’adresse, elle n’a pu répondre personnellement :
Ecoute

Tant de soin ne peut être vain. Tant d’art
ne peut s’anéantir, ni tant d’amour
se perdre. Ecoute ce regard vibrant
jeté comme un cri, offert comme un
sourire, à chaque rive du bonheur.  (Maurice Lestieux)

Je me fais aussi le porte-parole de notre président d’honneur, Georges-Emmanuel Clancier qui, vraiment peiné, regrette vivement de ne pouvoir être présent et vous prie d’excuser son absence. Il témoigne aux proches et aux amis de Maurice toute l’estime qu’il a pour le poète très sincère qu’était Maurice Lestieux, saluant sa grande honnêteté d’esprit et sa conception exigeante de la poésie.  Georges-Emmanuel Clancier est reconnaissant à Maurice d’avoir animé de longues années le Cercle Aliénor et, dans le même sens qu’on parle d’hommes « de bonne volonté », il gratifie Maurice du titre de « poète de bonne volonté ».
Quelques amis proches de Maurice vont à présent apporter leur témoignage personnel :

Danièle Corre, qui succéda à Maurice, à la présidence d’Aliénor.

Passage de témoin
À Maurice Lestieux,

Toi qui as pris « la parole
par la main »1 et l’as conduite
sur des chemins de ferveur,
tu as dit « Tu sais, ce n’est pas moi qui dirai ton voyage.
Je glisserai pourtant au secret de ton bissac un
soupçon de festin pour les haltes désertes. »2
Voilà le jour venu où tu poses
le fardeau de douze années qui chantent encore
et te disent merci de les avoir aimées.

Tu veux t’émerveiller d’autres signes,
d’autres visages, d’autres discours,
tu nous laisses
jouer avec le feu, car « C’est un jeu,
c’est un jeu dangereux, le poème »3
écris-tu prudemment.

Tu veux poursuivre ailleurs
ta « quête d’azur aux fourches du figuier »4
avec nos mots vainement agrippés
à ton « écharpe de nuages »5.
Mais peut-on retenir
une force qui va,
avec « quelque intuition
de l’espace »6 ?

Tu veux chercher ailleurs,
loin de Saint-germain-des prés,
là-bas, vers le nord, « à l’autre bout
du temps, du rêve, de la question,
sur le versant secret de la parole,
la réponse juste. »7

Reviens nous instruire
ensuite du « soir lucide et doux »8,
« des humbles cargaisons de vouloir vivre ensemble »9
et nous tenir dans tes bras
« à grandes enjambées du cœur »10.


Danièle Corre
6 janvier 2010
Elisabeth Dolet-Launay lit un poème qu’elle avait composé pour Maurice :

A Maurice Lestieux


Connaissez-vous la bonté même ?
La bonté même, c’est un monsieur
Dont le visage et dont les yeux
Etrangement brillent, plus que gemme.

A chacun de ses pas il sème
Des étoiles, que l’on croit aux cieux.
Connaissez-vous la bonté même ?
La bonté même, c’est un monsieur

Partageant chanson ou poème,
Il suit chemin délicieux,
L’air doux, miséricordieux.
On le croise ? Aussitôt on l’aime !
Connaissez-vous la bonté même ?

Elisabeth Launay-Dolet  2006

Jean-François Blavin :
Je voudrais seulement évoquer aujourd’hui une forme de complicité amicale que j’avais nouée avec Maurice autour d’un personnage ayant vécu de 1330 à 1418, devenu légendaire, Nicolas Flamel.
Maurice avait eu un sourire joyeux, teinté d’espièglerie en découvrant que j’habitais à Paris, rue de Montmorency, et il me parla sur le champ de la fameuse Auberge du dit Nicolas Flamel et de dame Pernelle, sise à quelques pas de mon domicile.
Ce présumé alchimiste le fascinait, il me révéla alors qu’il avait écrit une pièce de théâtre en 1984 consacrée à cette figure de l’histoire de Paris et me remit son manuscrit intitulé « L’or de Dieu », avec en sous-titre « Le vray secret de Nicolas Flamel ».
Je découvris alors cette belle écriture théâtrale et, pour achever mon propos, je voudrais vous faire partager deux citations extraites de son opus où l’on retrouve tellement et le poète et l’homme d’interrogation philosophique.
Première réplique de Nicolas Flamel à ceux qui l’interrogent :
« Il faut se lever. Il faut partir comme les mages à la poursuite de l’étoile même si l’on n’arrive jamais. Quelque autre, un jour, arrivera ». 
Enfin, dernière réplique du maître alchimiste : « J’ai réussi à purifier le métal, mais pas encore à purifier l’homme ». (Jean-François Blavin)
Lisons enfin quelques poèmes de Maurice. En voici trois, sur le thème du silence, récités en décembre 2000, lors d’une rencontre chez Paul Farellier, autour de Maurice Lestieux et de Katty Verny-Dugelay (qui nous a procuré les textes) :
Le poème
Car il est temps de faire silence
ou presque. Peu de mots
sur la page. Peu de lignes
sur l’œuvre. L’unisson
de la parole et du regard
enfin trouvé. Le voici
dans la nudité suprême
de la parole, le jaillissement
de la couleur offerte
comme un battement d’espace
un frémissement du cœur,
le poème. (Maurice Lestieux)

Silence
Silence est l’autre nom de la parole
et de l’infinitude de l’espace,
il nous fallut imaginer des mots,
recréer, sans erreur, le monde en le
nommant. Comme le peintre en la distance
inaugure la beauté du soleil.
Silence est l’autre nom d’éternité.

Seulement
L’enfant qui marche
dans les blés,
on voit seulement les épis
qui tremblent
un peu.
La mer qui danse
sous le vent
on sent seulement
le sel
des embruns précurseurs.
L’amour qui marche
dans le cœur,
on entend seulement
le silence.

Guy Chaty va nous lire « L’homme, au milieu du monde », qui témoigne de l’humanisme de Maurice.
Maurice avait la foi chevillée au cœur, et l’hommage que nous tentons de lui rendre serait incomplet si nous n’évoquions pas la dimension chrétienne de ce poète. En témoignent ce passage d’ « Un certain Simon de Cyrène », lu par Bernard Fournier et enfin le poème « Le figuier et moi » (lu par Guy Chaty), où l’assurance du retour est l’autre nom de l’espérance.  

Béatrice Marchal, Présidente du Cercle Aliénor.

dimanche 29 septembre 2013

Les mètres de liberté

Aliénor
Cercle de poésie et d'esthétique Jacques G.Krafft

a l'honneur de vous inviter à la séance du
Samedi 12 octobre 2013 à 16 h 15 précises

Les mètres de liberté
à propos de
Résistance à la poésie
de James Longenbach

(éditions Corlevour - traduit par Claire Vajou)

par Claire VAJOU

Séance suivante : 9 novembre 2013
LECTURE A DEUX VOIX : Marcel Béalu et René-Guy Cadou
extraits de Correspondance 1941-1951, Rougerie 1979
présentés par Pierre-Dominique PARENT
Récitants : Guy Chaty et Jean-François Blavin

vendredi 14 juin 2013

Michel Passelergue  Prix Aliénor 2012

Avant de présenter Lontana in sonno (publié aux éditions Aspect), qui a obtenu le Prix Aliénor 2012, il faut mentionner, pour mieux comprendre son écriture, que Michel Passelergue a été marqué par le surréalisme (son professeur de philosophie en Terminale était Georges Limbour, membre du premier groupe surréaliste). Ses premiers livres, Erosion, Nyx (1969) en témoignent et la suite de son œuvre en gardera trace dans la hardiesse de ses associations et de ses images : ainsi cet orage « tuméfié de silences » (4).
Ajoutons qu’en 1981, Michel Passelergue rejoint le groupe Phréatique qui anime la revue à tendance transdisciplinaire de Gérard Murail. Il se tourne alors vers le poème en prose, forme qu’on retrouve dans les deux ouvrages d’importance que sont Lettres à Ophélie (2004) et Lontana in sonno (2010).

La gestation de Lontana in sonno
Dans plusieurs extraits de son Journal de traverse (2003-2012), Michel Passelergue évoque la difficile gestation de son recueil, qui a duré dix-huit mois, après la mort de sa mère. « Quand j’ai enfin pris conscience de la nécessité d’affronter à mots nus les images obsédantes liées aux circonstances de la mort de ma mère – images qui faisaient écran, m’empêchaient de mener à son terme un poème dédié à la « vie inextinguible » - j’ai pu écrire, avec une spontanéité qui m’a surpris, le premier poème de Lontana in sonno. »
Quant à son titre, il a été emprunté à Pétrarque : « un titre auquel je dois peut-être le déclic préalable, et qu’un heureux hasard m’avait suggéré quand j’avais découvert l’œuvre du compositeur suédois Anders Hillborg destinée à la voix d’Anne-Sofie von Otter et basée sur des poèmes de Pétrarque. De l’un de ces poèmes, Hillborg avait retenu trois mots pour titre de sa partition : Lontana in sonno (Lointaine dans le sommeil). Mon futur poème-requiem ne pouvait recevoir meilleur intitulé. »
Les poèmes du recueil obéissent à une chronologie qui fait sens ; ici encore, le Journal de traverse permet de préciser les circonstances et quelques étapes de sa composition. Les six premiers poèmes sont issus « d’un impact violent : l’agonie, la mort, le deuil […Ils] relatent le drame avec réalisme – je veux dire de manière à offrir de la réalité une prégnance toute magnétique, exacerbée par des images projetées avec violence sur l’écran des mots et par les aspérités d’une langue travaillée dans la raucité, la déchirure. Comme dans Lettres à Ophélie, aucune image gratuite mais le choc de choses vues, de détails troublants au fond de l’ombre. Le vécu de ces jours où le temps lui-même semblait m’avoir quitté, pour me laisser sur la rive. » Ainsi le poème 2, qui retrace le trajet en ambulance vers l’hôpital, dans la nuit du 7 octobre 2008.
Le poème 6 est, quant à lui, une évocation de l’enterrement : « Tu descends dans le froid avec la rose… » Ces poèmes se caractérisent par une juxtaposition de notations, qui leur donnent force et pudeur. La violence de l’agonie est évoquée de façon discrète mais réelle, par un vocabulaire de la déchirure, qu’elle soit extérieure – « porte éventrée, brèche, tranchant… » - ou intérieure « sommeil fracturé […], taraudé par ce qui s’effrite, se dilacère en toi » ;  s’affirme aussi l’expression du dépouillement, qu’il concerne la mourante ou ses proches « égarés en guenilles »(2), voués à « des nuits en haillons »(12). Quant à la mort, elle est marquée par un mouvement d’arrêt, l’invasion de « l’obscur » ou encore la neige de l’oubli : « ton vaisseau encalminé, lourd d’amnésie s’ouvre au flot montant d’un sommeil de neige pure » (4).
Les derniers jours d’agonie à l’hôpital sont évoqués comme une traversée à la voile, la dérive d’une embarcation : « Nous avons traversé l’étoffe noire des heures, à mémoire basse, l’œil sur un hublot trembleur[…]La nef écarlate maintenant file bord sur bord à voile feutrée » (2). Cette navigation a lieu à l’automne (la mère meurt le 10 octobre 2008), saison dont l’évocation fréquente (environ dans un poème sur deux) tend à en faire un milieu liquide, sorte de fleuve qui emporte « dans [son] flot » une « nef désemparée », sensible encore à la beauté de ses « rives en fusion » ; la mort est le passage « de l’autre côté de l’automne » et s’inscrit dans la même image : « Tu as franchi la ligne sous des rayons éperdus, dans un automne sans fond », qui mène naturellement à l’hiver, avec sa neige qui rappelle la pâleur de la mourante.
Pour continuer, le poète a pratiqué « quelques coups de sonde dans la mémoire profonde ». Ainsi le poème 7 est-il inspiré par une photo de la mère, avec Michel bébé dans les bras, alors que Paris était occupé et les alertes très fréquentes : « La photographie datée du 28 mai 1944, redécouverte à la faveur d’un agrandissement – mais surtout parce que je la regarde après le drame – a donné au septième poème une impulsion efficace ».
Le poème 9 tire la force particulière de son émotion d’un terrible souvenir, l’annonce que, le 12 avril 2000, le poète a dû faire à sa mère, de la mort imminente de son frère aîné, Daniel (qui aurait eu 70 ans le 5/10/2008, cinq jours précisément avant la mort de la mère). Le cadet se rappelle, avec l’empathie d’un immense amour, la douleur du souvenir. « Sous l’atroce lame qui te déchire, tu n’as plus qu’un rien de parole […] L’enfant englouti, la plaie du temps s’ouvre […] Avril a saigné de toute sa lumière froide sur tes tempes.[…] Tu iras […] vers une nuit oblique, ta main cherchant toujours l’enfance derrière un visage évanoui ». Jusque dans le coma de l’agonie, la perte de ce fils reste « cette pointe, au tréfonds d’une nuit viscérale, qui viendra perforer ton dernier éveil d’enfance, vrillant l’écorce d’oubli ».
Le dixième poème restait insaisissable : « après tant d’échecs, je le pensais inaccessible, échappant à toute tentative d’écriture – et puis il s’est écrit, ce dixième moment du cycle Lontana in sonno… », à la faveur d’un séjour, l’été 2010, dans la maison de famille à Meschers, au bord de l’océan. « Les quelques ébauches notées un mois plus tôt à Meschers, donc sur le motif, ne proposaient qu’une assise bien fragile à l’édification d’un poème. Pourtant, j’y retrouve les éléments qui ont fini par se cristalliser dans les images les plus prégnantes : la maison, la forêt, le jardin, les fougères, la fenêtre « à vif », le rouge-gorge, l’estuaire au loin. Ce qui m’a rendu la tâche difficile résidait peut-être dans la nécessité de faire entendre cette fois une parole moins tendue, moins crispée que dans les poèmes qui ouvraient le cycle. Il me fallait admettre qu’un certain apaisement allait se percevoir, à l’image de ce lieu calme qui semblait retenir sous son ombre deux années d’une mémoire en suspens. A ce prix, le poème pourrait trouver la forme qui serait la sienne et que trop de tentatives infructueuses n’avaient su mettre à jour ».
Le onzième poème est né de ces mots , « labeur d’ombre », surgis dans l’esprit du poète lors d’un concert aux Serres d’Auteuil. Ses textes en effet sont souvent nés de notes prises au hasard de ses promenades et de la vie.
« Le onzième poème achevé – après une recherche longtemps infructueuse – il m’est apparu que le cycle Lontana in sonno trouverait sa conclusion naturelle avec une douzième page. Le travail de mémoire à l’œuvre dans la seconde moitié de l’ensemble avait suivi une chronologie qui, de 1944, m’avait ramené à octobre 2008. Irrésistiblement il m’avait fallu revenir, cette fois par un véritable poème en prose, à ce qui formait la matière du Carnet pour l’inextinguible. Restait à clore Lontana in sonno en portant un regard rétrospectif sur la déchirure qui avait traversé les premières pages. A la lecture tout se passerait comme si une année s’était écoulée – douze poèmes comme douze mois – alors qu’en réalité deux années me séparent de ces journées d’octobre ».
« Maintenant que je peux appréhender dans sa totalité le cycle Lontana in sonno – qui m’a occupé pendant vingt-et-un mois – je suis frappé par le jeu dialectique incessant entre lumière et ombre, révolte et accablement comme par le va-et-vient entretenu par des visions d’enfance et des moments crépusculaires. Vibrations sensibles et temporelles qui n’affectent pas le mouvement général du poème-tombeau (non-prémédité), lequel nous mène de la violence douloureuse des premières pages à l’expression plus apaisée des dernières […] Les douze poèmes de Lontana in sonno sillonnent le champ temporel suivant des chemins de traverse, alors qu’une chronologie bien linéaire se dégage de l’ensemble : évocation des derniers jours de ma mère et de l’enterrement dans les poèmes 1 à 6, puis coups de sonde dans les couches profondes du passé pour les six derniers (depuis mes années d’enfance, avant de retourner à l’automne 2008). »

Un poème-tombeau
6
« Repose en secret. La terre nous est d’enfance, toute lumière à rebours sous la peau. Tu descends dans le froid avec la rose, sous des voix qui s’éteignent. Les arbres tournent leur motet d’ombres. Aux nuages sans retour nous avons reconnu un lointain qui nous manque et nous brûle. Avant de voir s’ébouler le mur dernier, s’obscurcir le miroir des jours, il reste ce peu de mots serrés dans la main du silence. Tout le sang du plein midi sucé aux rousseurs d’octobre – et nous ne vivons plus que des blessures de ton sommeil. Repose en nous, dans l’eau immémoriale, dormeuse au temps étouffé ».
Considérés dans leur ensemble, les douze petits poèmes en prose de Lontana in sonno composent une complainte funèbre « murmuré[e] au bord du temps » pour la mère, « lointaine dans le sommeil »… mais toujours présente. La richesse du vocabulaire musical atteste la passion pour la musique d’un poète qui a écrit L’Oreille absolue et qui a collaboré avec des compositeurs : aussi son recueil résonne-t-il, à chaque étape, d’une forme musicale bien particulière, que ce soit le « thrène assourdi » du couloir d’hôpital, la « cantilène d’oubli qui emporte [la mourante] vers des sables lointains, en terre de silence » (5), le « motet d’ombres [que] tournent les arbres » au cimetière ou la douleur du deuil, qui revient « comme autant de litanies secrètes, au vif des mots dispersés » (9).  Ces termes musicaux, souvent empruntés au domaine religieux, accréditeraient l’idée que la musique a pour Michel Passelergue valeur de religion – la seule religion qu’il reconnaisse passe pour lui à travers la musique ; et de façon générale, parce qu’écrire consiste à « insuffler l’indicible », écrire assume sa parenté avec la musique : « écrire, filer cantilène engloutie ou rechant d’agonie » (11) ; comme la musique, l’écriture naît du silence et y retourne : il ne restera, au dernier poème, que « longue veillée de murmures, bruissement d’érable à peine éclos » mais résonnera longuement ce qui se sera communiqué à nous.
 A travers ces chants de deuil, nous aurons compris que la mort est un poignant mystère : nous vivons « au bord du fleuve qui nous baigne de son ailleurs » (3) et « aux nuages sans retour nous avons reconnu un lointain qui nous manque et nous brûle » (6). Ce mystère, délié de foi en une transcendance, confine à l’angoisse et au vertige, ainsi que l’évoque cette « paume [de la mourante] tournée vers la seule étoile absente » (2) ou le « ciel déraciné » (12) de ceux qu’elle laisse.
La mort se révèle en fait accès à un ordre autre : « La vie se ferme, un miroir s’ouvre » ; cet ordre, c’est celui de la transparence :  « Après oblation à l’obscur, ascèse sous la lampe, nous ne respirons que par transparence »; si elle évoque manque et déperdition, il semble toutefois que rendue par une liquidité qui capte les reflets, et associée au sommeil, l’image la plus proche de la mort, cette transparence « ouvre » à une forme de connaissance plus pure, plus originelle – « ton vaisseau encalminé […] s’ouvre au flot montant d’un sommeil de neige pure […] Ton front éclaire la chambre d’une enfance crépusculaire » (4), « tu vois de source, cheveux trempés dans le sommeil » (5).
La mort va au moins permettre de libérer tout l’amour accumulé qui n’a pu se dire : ce « flot obscur » que le poète a contenu, « gorge serrée sur des mots » d’une puissance d’autant plus saisissante qu’ils auront été retenus, voilà qu’il doit leur laisser libre cours de sorte « à vriller toute écorce d’absence » (5), - « tant de mots à fendre l’écorce » (8)… L’agonie se révèle ainsi comme l’occasion d’écrire, elle est le trop plein de souffrance dont il faut tenter d’extraire le poème : cet estuaire que le poète dit attendre qu’il « s’ouvre enfin à même la voix perdue »,  c’est l’estuaire de la mort où se perd, à son terme, le fleuve de la vie et la voix de la mère mais c’est aussi la plongée dans l’écriture pour celui qui, devant la mourante, est menacé d’aphasie et ne « peu[t]que balbutier des paroles sans lumière ». Si la maladie et la mort sont silence, il y a, au sein de ce silence et du dépouillement le plus extrême, l’attente, chez le fils, d’une parole libératrice. 
D’autant que le rapport à la mère est, depuis la prime enfance, un rapport aux mots, grâce à la lecture et à l’écriture que, la première, elle lui a apprises. Le poème 8 l’exprime clairement : « Un alphabet m’éclairait, de ta main. Envol ou déchirure, chaque vocable devenait visible, le fil d’encre écoutait – c’était l’eau vive. Enfant, je frôlais l’obscur, le grain d’une langue. Tu tournais le silence vers l’intérieur, et j’entendais vibrer, syllabe après syllabe, la lampe murmurante ». C’est par conséquent de la mère qu’il tient la clef d’une lisibilité du monde et de lui-même, c’est elle qui lui permet de lier, par l’intermédiaire des motifs de l’eau et de la lumière, les mots à la vie ; c’est elle qui donne au poème, par leur truchement, cette « vertu éclairante » que, dans son Journal de traverse, Michel Passelergue lui reconnaît, à l’instar de Salah Stetié.
Mais de la même façon, la disparition de la mère risque de priver le poète de cet éclairage indispensable et vital, laissant « soudain épars, indéchiffrable brouillon – le poème suspendu, à vivre aujourd’hui d’absence et de brûlures » et partant, laissant « indéchiffrées nos cicatrices, nos failles intérieures »(12). Mais le salut ne pouvant advenir sans que soit faite mémoire du monde de la mère, il faut donc résister et, par les mots, par le poème précisément, tenter de perpétuer cette  « lueur lointaine à vivre, ta présence ». Car les mots constituent un guide aussi sûr que l’enfance, ils permettent de traverser ce qui sépare.
Ecrire devient alors œuvre de vie : « Ecrire […] labeur d’ombre sous la langue. Pour débusquer, au secret de mots à la dérive, mémoire en grains, un cri à l’état naissant ». On comprend dès lors la différence qu’opère le poète, à la dernière page, entre devenir, durer, survivre – survie que seule permet l’écriture, parce que, grâce à un regard d’enfance, celle-ci est essentiellement en prise directe sur le monde, elle rétablit un rapport originel à la terre – « la terre nous est d’enfance » ; par là même, elle nous restitue « le monde évanoui que [la mère] serrai[t] dans [s]es bras » : « Les mots au plus loin des lèvres, la voix derrière l’ombre, devenir manquait de sève. Durer était question d’oubli. […] Si nous survivons, c’est dans la proximité des pierres et d’un humus assez noir pour que lève l’improbable ». 
Quatre photographies (en comptant celle de la couverture) ornent le recueil ; elles ont été prises sur la plage de Meschers par Michel Passelergue, sensible à ces œuvres d’art que la nature dessine sur le sable quand la mer se retire ; éclairées par la lumière rasante du couchant, sans doute lui évoquent-elles la complexité et la beauté de nos vies, dont on ne sait sur quel large débouche l’estuaire, suggéré par la dernière photo.
*
Le temps étroit, Ombres portées, ombres errantes et Lontana in sonno  forment le « Cycle des Ombres » (bientôt augmenté de Miroir sans issue) et constituent autant de recueils inspirés par la mort des êtres qui furent si chers, ceux de la proche famille – le frère aîné, la mère, successivement disparus en avril 2000 et octobre2008. Michel Passelergue évoque, à travers ces textes, combien l’ont marqué ces événements et quel amour fut le sien. Les poèmes nés de ces deuils sont en effet une manière d’exprimer cet attachement, sa profondeur et sa force ainsi qu’une façon de dépasser la disparition et d’assurer une forme de survie à ceux qui vivent toujours en lui. A travers le poème-tombeau, le fils fait reposer en lui chacun de ces « dormeu[rs] au temps étouffé », « dans l’eau immémoriale » garante de « la vie inextinguible », qui, rappelons-le, était le titre d’un poème ébauché quelques heures avant la mort de la mère, poème demeuré inachevé mais duquel sont nés Carnet pour l’inextinguible (in Ombres portées, ombres errantes, éditions du Petit Pavé, 2011) et Fragments pour l’inextinguible (paru en 2012 aux éditions La Porte). Les  « Chansons du long sommeil », trois brefs poèmes qui composent la dernière partie de ces Fragments pour l’Inextinguible, ont été écrits le 10 octobre 2011, soit le jour du troisième anniversaire de la mort de la mère, en écho à Lontana in sonno :
1
Fracturée, cette nuit sans ressac,
saignant d’écume sous les draps.

Mots à vif dans leur blancheur éperdue,
toute la chambre s’est éteinte.
L’encre brûle encore à l’intérieur.

Béatrice Marchal

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Samedi 8 juin 2013  


Les poètes du Cercle ALIENOR

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Michel PASSELERGUE,
Prix ALIENOR 2012


Présenté par Béatrice MARCHAL

vendredi 5 avril 2013


 Aliénor
Cercle de poésie et d'esthétique Jacques G.Krafft

a l'honneur de vous inviter à la séance du
Samedi 13 avril 2013 à 16 h 15 précises

à la Brasserie Lipp (salle du 1er étage)
151, Boulevard Saint-Germain à Paris 6ème


Remy de GOURMONT
 le reclus prolifique

par

Vincent GOGIBU