mardi 29 novembre 2016

Samedi 10 décembre 2016: Le prix ALIENOR 2016 est décerné à Frédéric TISON pour son recueil Le Dieu des portes



Aliénor

Cercle de poésie et d'esthétique Jacques G.Krafft
lors de sa séance du
Samedi 10 décembre 2016à la Brasserie Lipp
a décerné
Le prix ALIÉNOR 2016
 à
Frédéric TISON
pour son recueil Le Dieu des portes
publié aux Éditions Librairie-Galerie Racine, 2016
Frédéric Tison et Béatrice Marchal
Frédéric Tison et Béatrice Marchal



La séance s'est ouverte par l'hommage à Josette Frigiotti, amie du Cercle qui est décédée récemment. Guy Chatty et Colette Klein nous ont lu quelques poèmes d'un de ses derniers recueils, De tant d'amour, Ed. Saint-Germain-des-Prés , 2000. Puis Béatrice Marchal nous a présenté le prix Aliénor 2016 attribué à Frédéric Tison. Vous retrouverez ci-dessous l’intégralité de sa présentation. 






Guy ChatyColette Klein Frédéric Tison, Béatrice Marchal, Colette Klein

Le Dieu des portes

Le titre d’abord nous interpelle, servi par la saisissante photo, en couverture, d’un regard d’ange dirigé vers l’Au-delà. Dans une Note liminaire, l’auteur explique d’emblée que « de Janus à proprement parler [le dieu romain au double visage], il ne sera pas question dans ces pages » ; mais le dieu des portes n’en reste pas moins actuel, puisque son œuvre, qui se situe essentiellement dans le temps, « est de passer – d’aller enfin », passage perçu par la présence du vent dans ces textes , aussi forte qu’insaisissable : « J’aime le vent, et chaque vent me déçoit » ; aussi « à nous de traquer à chaque instant sa présence », dit le poète qui fait sienne la devise de son aîné, Jean-Antoine Roucher, « se regarder passer ». 
Frédéric Tison
Frédéric Tison
 Le livre est composé de trois Cahiers, dont les titres respectifs Heurteville, Sylvestres, Planètes, évoquent d’emblée une déambulation qui s’élargit du lieu circonscrit de la ville, aux forêts et au cosmos tout entier. Heurteville, avec sa discrète allusion à Perceval le Gallois, d’emblée nous situe dans l’espace du mythe, ces mythes et contes (Grimm, Perrault avec la Belle au Bois dormant, etc) auxquels recourt de façon fréquente et naturelle un poète qui en est nourri et qui les adapte librement à son propos ; de manière générale, c’est le recueil dans son ensemble qui mêle, en un syncrétisme harmonieux, de nombreuses références à l’antiquité, avec les évocations de lieux et d’objets (péristyles, trirèmes…), avec la mythologie (Silène, Orphée, Ulysse…), mais aussi à la littérature du Moyen-Age, courtoise notamment et à la Bible. Il est d’ailleurs frappant que tout au long du recueil, la parole se revendique comme l’expression d’une doxa bien plutôt que d’une intangible et incontestable vérité : « il paraît que », « on raconte, on dit que… » introduisent et ponctuent sans cesse ces « histoires en peu de phrases », qu’évoque le sous-titre et qui correspondent à la définition par Frédéric Tison du poème en prose.
Dans cette pérégrination traversée de rencontres, l’amour est mentionné dès le premier poème comme la condition essentielle de sa réussite : « et tu n’auras rien vu, ou bien du gris ou du bleu – si tu n’entres en amant ». La rencontre amoureuse y acquiert une dimension d’archétype : l’aimée, c’est « Elle – celle qui n’a pas de nom » ; l’amour est évoqué en référence à la Genèse, comme un éblouissement créateur et la figure du poète s’identifie à Orphée, l’enchanteur doublement éploré par la perte d’Eurydice et celle d’« un fils du vent », Calaïs.
Frédéric Tison, Béatrice Marchal
Frédéric Tison, Béatrice Marchal
La richesse autant que la complexité du Dieu des portes tient sans doute aux pronoms personnels, dont le poète varie à sa guise l’emploi des trois personnes – je, tu, il, elle – du singulier. Il s’en explique dans une note de l’un de ses carnets: « Que, dans le poème, le "je", le "tu", le "vous" et le "nous" se parlent et se confondent ne doit pas étonner ; ils s'échangent parfois, si chaque homme ne sait, bien souvent, croyant parler de lui-même, qui il est, à cette heure et à ce moment — ni quelle voix le hante quand il vient de parler, ni d'où il vient de dire ». Comprenons qu’à ce recours très concerté aux pronoms est dévolue la mission de dire l’éparpillement des identités : qui parle, quand "je" parle ? C'est aussi, parfois, un moyen, ou une tentative de s'éclairer soi-même. Ainsi dans trois textes consacrés aux « villes précieuses », égrenés dans chaque cahier, l’emploi du pronom "tu" fait implicitement référence à « Zone » d’Apollinaire : comment mieux signifier que la déambulation est à la fois extérieure et intérieure, physique et mentale ? Car si la quête est difficile, « Parmi les immeubles, quelque chose ne s’ouvre pas », la liaison entre la marche et la voix du poème ne fait pas de doute : « la trace feutrée de tes pas […] peut-être ébauche-t-elle la clef qui manque à ton trousseau sonore ? » Quant au motif de l’ombre, il traverse tout le recueil (p. 12, 47, 71) en illustrant  l’opacité du poète à lui-même –  « L’ombre – ton ombre – est ton grand oiseau blessé » – en même temps que cette ombre apparaît comme une chance de se connaître – « Je suis encore ta naissance, me dit l’ombre ».
A l’instar de l’ombre, liée à la question de l’identité, sont privilégiées des réalités aussi légères et immatérielles que le vent, les nuages, voire l’eau, liées de façon corollaire à la question de l’écriture et du chant. 

Frédéric Tison
Frédéric Tison
Si importante que soit la place du vent « Les vents nourrissent ta parole », c’est le chant qui est premier : « Le chant devance le vent », et le poète est son « otage ». Un chant qui a bien sûr partie liée avec le silence : là d’où il part, c’est « du côté du silence ». De même le satyre Silène appartient à la suite de Dionysos, le dieu du chant poétique : « Silène, tu chantes le monde et le monde est dans ta voix », mais ce n’est pas dans le vin, mais dans l’eau, « l’eau qui parle », « plus mystérieuse que le vin » qu’il retrouvera les noms perdus et nécessaires. Pour Frédéric Tison, le chant est en effet nomination, ainsi le poème XI du deuxième cahier apparaît comme une sorte de Fiat : « Soit l’aube au bout de tes bras, soit la feuille sous la neige. […] Soit toute l’eau lente et légère celle où tu ne t’es pas encore connu ». A la nomination, s’ajoute la fonction de célébration : « Loue…, célèbre… chante… », qui donne au chant le pouvoir de rompre le maléfice, de libérer et d’ouvrir l’espace à la lumière : « Ainsi, brise, brise : les lumières noyées, l’air noir, la poix de toute écluse, de toute rive ».
Béatrice Marchal
A la fin du premier Cahier, l’écriture apparaît, à travers l’allusion à un conte de Grimm, comme une clef qui peut ouvrir, mais ne permet pas de passer le seuil. Pour pallier la difficulté de l’écriture à circonscrire une réalité trop délicate, le poète va recourir à la peinture : « Parce qu’elle était silhouette je la peignis avec les noirs de mes encres. […] ». Non pas au détriment de l’écriture mais plutôt de façon complémentaire vont se trouver associées écriture et peinture : « afin de peindre les images qui figurent dans l’ouvrage de tes Heures ». Cette référence aux livres d’Heures est chère à Frédéric Tison, il leur associe le sens de ces histoires, qui ont d’autant plus de force qu’elles sont brèves : « Plusieurs textes ont pour trame une « histoire », un « récit », ou plutôt un fragment d’histoire ou de récit, même s’ils n’en sont pas à proprement parler. Mais histoire possède également le sens d’image (manuscrits historiés des monastères médiévaux, par exemple) ».
L’écriture bientôt confondue à la peinture apparaît finalement comme un de ces sorts heureux que jette à lui-même notre poète : il fait d’elle un moyen d’échapper aux apparences, un gage de vérité et de vie : « Prends ton visage dans tes mains – et porte-le sur la page blanche encore, sauve-le du miroir ! Chacune de tes couleurs est un vœu. Une touche de blanc dans tes yeux – Tu es vivant ».
         Le dieu se cache – ou se révèle – en de multiples réalités : « Il règne matin et soir à chaque coin de rue. Si peu le regardent, et l’admirent et l’encouragent ; d’aucuns prétendent que son nom – son vénérable, son lent, son lointain nom – n’est pas connu. Et toi, tu l’appellerais volontiers Celui Qui Manque, si ce n’était l’interrompre ». Car le poète connaît la finitude du réel : « Tu auras su cette immense blessure – en toute chose et pour jamais, sous le ciel clair […] partout régnait l’adieu ». Pourtant si ce « quelqu’Un est caché dans les visages, au sein des vents, parmi les millions de corps et de pas », certains permettent parfois d’en approcher l’identification : « Mais il y avait un visage et celui-là parlait : l’amour ! disait-il, l’amour, lorsque tes pensées m’animent, lorsque tes mains me déclinent ». 

 Dans le Cahier III se confirment les thèmes précédemment rencontrés et l’errance se poursuit, conformément à l’étymologie du titre « Planètes » (« planetes », en grec, signifie errant, vagabond) : on y retrouve « les villes précieuses » mais aussi l’évocation d’Ulysse et, bien sûr, la présence du vent, « le vent qui contient nos secrets », qu’il convient de savoir entendre, lui qui « apportera les mêmes images, les mêmes phrases, les mêmes cadences ». Toujours l’amour en apparaît le moteur : « Tu as emprunté des voitures et des trains pour un visage aimé ».
Il semble que cette errance, amplifiée, trouve ici une forme d’achèvement. Elle devient cosmique – « Le monde bientôt roulera ton corps dans les galaxies de diamant… » mais elle se fait aussi, autant qu’à travers l’espace, dans le temps ; il semble alors qu’elle ne se plaît à rappeler le passé,  antique ou personnel – « l’eau claire sur le flanc des trirèmes » –, que pour le changer en éternité. Sous le regard du dieu-poète, tout ce qui compose le réel devient sacré. D’où l’importance de savoir regarder : « Au voyageur, [tu demandes] le double de ses yeux » car le regard échangé est parole. Son but n’est autre que la beauté, « âpre, et sombre », dont la présence si proche est si difficile à discerner.

 C’est aussi au sein de cette errance qu’a lieu la création poétique, qui est genèse du monde, puisqu’elle consiste à amener « un songe », par le truchement d’une « pensée qui le descelle », « jusqu’à la voix ». Le poète est l’instance – le dieu ? – qui rend effective l’existence de ce qui n’existait « avant [lui] » qu’à l’état de limbes. Par la grâce des « noms qui veillaient sur [s]es lèvres », un paysage s’ordonne et acquiert une âme qui est un peu la sienne : « (Il paraît qu’aujourd’hui l’arbre te ressemble, et que lorsque tu marches toute la forêt s’avance derrière toi. Il paraît que le chant des oiseaux se souvient du son de ta gorge et de tes lyres. Il paraît même que les saisons renouvellent tes danses, et que les fleurs s’en étonnent ». (Notons en passant la réminiscence à Macbeth, et la manière très personnelle dont Frédéric Tison utilise le mythe). « Oh, jaillir ! », voilà exprimé le souhait profond, l’attitude désirée qui ouvrirait à ce qui est recherché. Pour cela, il n’est que d’aller au-delà de soi-même, le poème devient alors la fin même de l’errance : « Sache que tu es toi-même l’obstacle – et que ton chant est déjà le lieu que tu attends ». Le livre s’achève enfin sur l’évocation d’un conte qui ne laisse pas de doute sur le caractère mystique d’une telle quête.

*
Le Dieu des portes est une errance où se mêlent intimement quête de soi, quête de l’écriture et quête mystique. Ajoutons que son pouvoir poétique tient certes à la solide architecture du livre mais aussi à un rythme, une prosodie qui répond à l’exigence, selon laquelle « le poème en prose doit proposer un autre Chant », en témoigne une musique, comme par exemple celle de ces alexandrins: « C’est une fleur souterraine et c’est un visage, c’est un jardin qui fait d’une fleur un visage » (XV, cahier II).
Béatrice Marchal


Michel Passelergue, Frédéric Tison
Michel Passelergue, Frédéric Tison




*
Les poètes d’Aliénor
Traditionnellement,  suite à l'attribution du prix Aliénor, les Poètes du Cercle et leurs invités lisent et échangent autour de la lecture d'un de leur poème. Retour en image. 


 























Le Comité Aliénor


Séance suivante, le 14 janvier 2017 par François de Saint-Chéron " Pierre Emmanuel : la Résistance, la Bible, la femme"

lundi 24 octobre 2016

Hommage à Jean-Luc WAUTHIER, poète aux multiples voi(es)x par Philippe MATHY



 Aliénor

Cercle de poésie et d'esthétique Jacques G.Krafft

a l'honneur de vous inviter à la séance du
Samedi 12 novembre 2016 à 16 h 15 précises

à la Brasserie Lipp (salle du 1er étage)
151, Boulevard Saint-Germain à Paris 6ème


Hommage à Jean-Luc WAUTHIER,
poète aux multiples voi(es)x

par

Philippe MATHY



La capacité de la salle est limitée par la réglementation sur la sécurité des établissements recevant du public. En cas d’affluence, priorité sera donnée aux adhérents du Cercle. Les autres personnes seront admises dans la limite des places disponibles.

Le Comité Aliénor

dimanche 25 septembre 2016

Histoire de l’Académie Mallarmé 1913-1993 par Bernard FOURNIER

 Aliénor

Cercle de poésie et d'esthétique Jacques G.Krafft

a  eu l'honneur de vous présenter lors de sa séance du
Samedi 8 octobre 2016 à la Brasserie Lipp (salle du 1er étage)


Histoire de l’Académie Mallarmé
 1913-1993 

par

Bernard FOURNIER



Béatrice Marchal
Béatrice Marchal

Guy Chaty
Guy Chaty

Colette Klein
Colette Klein
Jean-François Blavin
Jean-François Blavin



Françoise Geier
Françoise Geier

Danièle Corre
Danièle Corre

Danièle Corre
Danièle Corre









le Comité Aliénor


Séance suivante : le 12 novembre 2016
Hommage à Jean-Luc WAUTHIER par Philippe MATHY

mercredi 8 juin 2016

Samedi 11 juin 2016 Pindare, la sainte chamarre de la joie






le Cercle ALIENOR a invité

Jean-Paul SAVIGNAC,
Jean-Paul Savignac


dont l'érudition et l'humour nous ont séduits lors de sa présentation

 Pindare, la sainte chamarre de la joie.

le samedi 11 JUIN 2016
 Jean-Claude Savignac, Colertte Klein, Guy Chaty
Jean-Paul Savignac, Colertte Klein, Guy Chaty
 Jean-Claude Savignac
 Jean-Paul Savignac,
Béatrice Marchal, Jean-Paul Savignac, Colertte Klein
Jean-Claude Savignac
 Jean-Paul Savignac
 Guy Chaty
 Guy Chaty

Béatrice Marchal, Jean-Claude Savignac, Colertte Klein, Guy Chaty
Béatrice Marchal, Jean-Paul Savignac, Colertte Klein, Guy Chaty








dimanche 29 mai 2016

Aliénor

Cercle de poésie et d'esthétique Jacques G.Krafft

a l'honneur de vous inviter à la séance du
Samedi 11 juin 2016 à 16 h 15 précises

à la Brasserie Lipp (1er étage)
151, Boulevard Saint-Germain à Paris 6ème


 Claude-Michel CLUNY

par

Jean-Yves MASSON

mercredi 25 mai 2016

Séance du 21 mai 2016: Le temps d’apprendre à vivre Georges-Emmanuel Clancier



Le temps d’apprendre à vivre
Georges-Emmanuel Clancier
par Béatrice Marchal 
 
Béatrice Marchal, Présidente du Cercle Aliénor
Béatrice Marchal, Présidente du Cercle Aliénor
Ces Mémoires couvrent l’histoire personnelle de GEC de 1935 à 1947, marquée par des rencontres avec  de nombreux poètes, écrivains et peintres de talent. Elle est bien sûr inséparable de l’Histoire, en particulier de la seconde guerre où son action dans la revue Fontaine témoigne du rôle de la poésie  dans la Résistance.
Dans un court Prologue, GEC justifie son projet d’autobiographie en montrant précisément combien histoire personnelle et collective sont liées. Puis commence son histoire personnelle, d’abord marquée par l’expérience de la maladie.  Si GEC a d’abord dû « apprendre à survivre », la tuberculose l’a mené à la lecture : « durant ces quatre ou cinq années depuis 1930-1931, je pourrais dire que pour moi vivre s’était quasiment identifié à livre ». Il appartient en outre à une génération dont les pères ont été sur le front en 14-18. Ce qui n’est pas sans expliquer le rôle salvateur que ces jeunes gens assigneront à la poésie.
Sa réserve à l’égard de la politique n’a d’égal que son « élan pour et vers une pleine libération, un plein épanouissement de la personne » : la poésie lui semble « porter témoignage et incarner l’espérance » de « l’aspiration humaine à la plénitude de l’esprit du cœur, du corps, de l’être tout entier ».
Sur l’enfant GE opère la bénéfique influence de ses grands-parents maternels, Marie-Louise et son mari, Jules Reix, dont l’humour participe à l’éducation politique de l’enfant. La vie à Limoges lui permet d’engranger les graines de ses œuvres futures : ainsi de la fenêtre du studio de Robert Margerit, la vue qu’il découvre sur l’« observatoire », dont la place est essentielle dans L’Eternité plus un jour.
1937, paraît une longue nouvelle « La Couleuvre du dimanche »
Après la guérison, vient l’obligation de trouver un emploi : « moi, j’aurais à seconder mon père dans son commerce ». Le 11 mars 1939, GE épouse Yvonne Gravelat, interne des hôpitaux. Au grand dam de ses beaux-parents : « Si au moins il avait pu la marier à un pharmacien ! Eh bien, non, et elle épousait quoi ?...un poète ». La vision idéalisée que GE expose alors de l’amour n’empêche cependant pas les jeunes mariés de se préoccuper de leur avenir matériel : ils vont vivre à Paris où Yvonne poursuivra ses études afin d’obtenir un poste en psychiatrie et GE passera son bac de philo (la tuberculose l’ayant forcé à interrompre ses études après son premier bac).  « J’allais « bachoter » sur l’un des bancs du parc Montsouris… une fois refermés mes manuels de l’écolier, je redevenais « l’écrivain » tout juste échappé de sa quasi-solitude limousine et impatient de rencontrer les poètes et auteurs qu’il admirait ». Il insiste sur la volonté qu’il a déjà « de [s]e vouer à l’écriture d’une œuvre poétique et romanesque ». Au printemps 39, GEC figure au nombre des poètes publiés par la revue Les Nouvelles Lettres , fondée par Jacques et Raïssa Maritain, dirigée par le jeune Jean Le Louët.

            Mais la guerre va contrecarrer le projet du couple de rester à Paris, c’est le retour en Limousin. Plus que jamais, GEC ne se pardonne pas d’être exempté du sort de ses amis mobilisés.
Après Saint-Junien, où Yvonne remplace un médecin mobilisé, voici Limoges où elle ouvre un cabinet de médecin généraliste. GE, toujours employé par son père, poursuit sa licence de philo à Toulouse. Il va obtenir un poste de secrétaire au Comité d’Organisation des commerces de l’alimentation, le COCA, où il fera jusqu’à la fin de la guerre un travail bureaucratique qui « l’ennuie ferme » mais lui assure un salaire.
En juin 42, GEC est accusé, ainsi que Jean Cassou, d’être « poètes », « communistes et gaullistes ». La vie sous l’occupation se poursuit, GEC évoque, entre autres, le sabordage de la flotte française à Toulon et du Figaro à Lyon, en 1942. Début 1943 la naissance de Juliette est une lueur d’espérance. A la suite d’un interrogatoire, à cause d’une lettre interceptée en provenance de Tanger, GEC quitte Limoges avec femme et enfant, chez de vieux amis au village de Ribière, dans une zone contrôlée par Georges Guingouin, le « préfet du maquis » qui sauvera Limoges à la Libération. Vie à l’abri des privations alimentaires, dans un calme relatif, marquée par la nouvelle du débarquement allié en juin 44 mais aussi, du massacre de Tulle le 9, et le 10 d’Oradour-sur-Glane ; la terreur nazie et les massacres se déchaînent. C’est également le début des règlements de compte, aux multiples atrocités.
Limoges est libéré sans combat le 21 juin 44. GEC s’amuse alors des réactions inattendues et stupéfiantes de certains, Jean le Bail son maître vénéré, le docteur Bauer…
Puis, sur la recommandation de Marc Bernard qui fait valoir son rôle dans Fontaine pendant la guerre, GEC devient rédacteur en chef du journal parlé de Radio-Limoges ; il prend son nouveau travail de journaliste très à cœur : « je considérais que l’essentiel de mon trav            ail, une fois préparées et assurées mes émissions personnelles, devait être l’élaboration d’un plan de développement du journal radiophonique afin qu’il couvre l’ensemble des activités de la région : sociales, culturelles, économiques, etc ». GEC, qui ne parvient pas à être payé pour son travail à Radio-Limoges, est engagé au journal Le Populaire du Centre comme « grand reporter ». Il fonde avec René Rougerie la revue Centres. Son activité littéraire de GEC se poursuit, sont publiés plusieurs romans Quadrille sur la tour, La Couronne de vie et bientôt Secours au spectateur.
Vient l’évocation avec la même lucidité indignée, en 45 de la poche de Royan, du massacre de Sétif, d’Hiroshima et en 46-47, alors qu’à sa connaissance on ne parlait pas encore de la Shoah, de l’attente au Lutetia des déportés en Allemagne.
La vie familiale est marquée par la naissance en 1946 de Sylvestre, et le travail du journaliste par une grande enquête sur la décolonisation, par des entretiens intégralement retranscrits avec Pham Van Ky, Jean Amrouche, Léopold Sédar Senghor et Michel Leiris, au retour de sa nouvelle mission en Afrique.
*
Les rencontres sont essentielles dans la vie de GEC. La première, déterminante, est, en 1937, celle de Jean Blanzat (à qui sera confiée, après la guerre, la direction des éditions Grasset) : il est alors instituteur en région parisienne, GEC a lu de lui trois livres. Il va devenir, par sa présence, ses paroles interrogatives ou encourageantes, son « maître à penser ».
A Limoges, le jeune GE fréquente l’association Les Amis de la culture, qui organise des conférences. C’est ainsi qu’il rencontre Aragon en une première fois mémorable. Les Amis de la culture le conduisent aussi chez les Haviland, par qui il va découvrir le théâtre et Shakespeare « à mon sens le plus divin poète de toute la création ». GE noue aussi des liens d’amitié avec Robert Margerit, alors critique littéraire du Populaire du Centre. C’est chez lui, à Thias, que le couple Clancier sera hébergé au retour de Paris en 1940.
A Paris, un heureux hasard veut que Gabriel Audisio habite le même immeuble ! Il met GEC en rapport avec Fernand Marc. Guy Lévis Mano accepte d’éditer son livre de poèmes Les Visages sauvés.
A Toulouse, où GEC poursuit sa licence de philo pendant la guerre, il suit les cours de Jankélévitch, avant que ce dernier ne soit forcé à se cacher ; il s’arrête à Carcassonne près de Bousquet, le « veilleur de silence ». Joë Bousquet, « le héros mystique emmuré dans sa chambre de Carcassonne, à mes yeux preuve vivante de la toute-puissance de la poésie face aux forces de la mort ». Sur ce lit où il gisait devant lui, GEC le voit « victorieux du temps et, en ces jours où la France elle aussi gisait détruite, victorieux de l’Histoire ».
Les propos de ces grands esprits contribuent, envers et contre tout, à maintenir en lui l’espoir.
A Limoges, pendant l’occupation, G.E. fait encore la connaissance de Luc Estang, un autre poète des Cahiers du Sud , il travaille au journal La Croix replié là-bas ; naît entre eux, entre le croyant et « le sceptique congénital », une « sympathie disputeuse », liés par le rejet du nazisme et de ses alliés. GE rencontre aussi l’homme de théâtre Maurice Jacquemont, replié à Limoges de 41 à 43, qui lui inspire l’amour du théâtre et l’envie d’écrire pour la scène : « il me paraissait aller de soi que création poétique et création théâtrale s’inscrivaient dans la même résistance à l’inhumanité ». Au début de la guerre, GE s’essaie au théâtre, avec une sorte de fable en un acte et trois personnages, L’homme qui prenait le vent.
En mars 44, GEC se rend à Paris où il est hébergé par Jean Blanzat et sa femme. Mauriac s’y cache, la sympathie pour l’ «académicien résistant » est immédiate. L’arrestation de Jean Paulhan permet de mesurer quel danger pesait alors sur ces résistants.
De retour à Limoges, GEC reçoit la visite de Francis Ponge, qui lui propose d’être le co-responsable du Front national (organisation paracommuniste) pour Limoges et la Haute-Vienne, il refuse (ce sera Luc Estang).
On notera que GEC se révèle un excellent critique de peinture : le premier chapitre débute par la description d’une toile de Modesto Cadenas, assassiné par « ceux de la Phalange ». GEC évoque « le lyrisme solaire de la toile » qui rappelle par un contraste brutal, « la mise à mort de l’artiste assassiné pour avoir osé rêver d’une fraternité de la beauté ». Il rencontrera d’autres peintres qui deviendront des amis : Lucien Coutaud, Georges Magadoux,  Jacquement, qui mourra prématurément. Si Robert Margerit se présente aux yeux de GE uniquement comme écrivain, il est également peintre et le chapitre XVIII raconte l’histoire plaisante d’un tableau à double fond, qui cache derrière l’érotisme subtil de la première image un nu des plus provocants.
Queneau se présente à GEC en février ou mars 42, sa femme et son fils étant installés pendant la guerre près de Limoges à Saint-Léonard-de-Noblat. Il lui fait rencontrer son ami le peintre Elie Lascaux. Or, le beau-frère d’Elie n’est autre que le grand marchand d’art, Daniel-Henry Kahnweiler, à qui ils vont rendre visite à quelques kilomètres dans leur résidence le Repaire. « Ce fut un monsieur à la courtoisie souriante et sereine qui accueillit en son refuge le jeune poète muet de respect » et d’admiration devant les chefs d’œuvre de l’art moderne que recélait la maison.
Il rencontre à la Libération le grand photographe Izis, le poète Robert Giraud et, dans le Saint-Germain-des-Prés de l’immédiat après-guerre, Antonin Artaud, Prévert ; il retrouve entre autres Queneau (qui le présente au couple Sartre-Beauvoir), Claude Roy, Pierre Emmanuel, Eluard…
Au-dessus de tous, il y a Max-Pol Fouchetl’ami « qui me deviendrait si cher ».
*
Nous abordons ici  le rôle qu’a joué Fontaine, grande revue littéraire de la résistance intellectuelle. GEC, depuis l’été 1940, a été membre du comité de rédaction, puis après novembre 1942, correspondant clandestin de cette même revue.
  GEC a été marqué par le meurtre de Federico Lorca : « pour les poètes de ma génération, le meurtre de Federico Lorca sonna la glas de cette espérance que nous avions d’un futur orienté par l’exigence poétique ». D’autre part, il avait découvert dans les Cahiers du Sud « que la littérature demeurait inséparable des valeurs de liberté ».
Dès le premier chapitre intitulé « No pasaran » est clairement posée la problématique du livre tout entier : que vaut, face aux forces de mort, la littérature ? GE y revient de façon constante, tout au long de ses Mémoires.
On comprend ainsi l’importance des revues – les Cahiers du Sud Fontaine, Poésie 40, et plus tard Confluences  « Ces petites revues témoignaient, oh ! sans doute d’une façon aussi dérisoire qu’émouvante, que malgré tout, la passion de la liberté, de l’intelligence, de la beauté, comme une flamme vacillante mais tenace, continuait à luire », et cela contre la fausse Nouvelle Revue française dirigée par Drieu la Rochelle. Paris une fois aux mains de l’ennemi, se dessinera une nouvelle géographie, provinciale et algéroise, pour la poésie et ses revues.
Malgré son intérêt pour les autres revues, c’est Fontaine qui, aux yeux de GEC, se situera au niveau le plus élevé « d’exigence littéraire, intellectuelle et civique ».
L’été 40 paraît le numéro 10 de Fontaine : GEC évoque quel « vigoureux antidote » il constitua au découragement ambiant. Le numéro 11 témoigne « d’une même passion pour la poésie – poésie que les circonstances nous faisaient plus que jamais percevoir comme l’élan même d’une irréductible et fertile liberté ! » mais « Fontaine se gardera de limiter la poésie à la seule production d’écrits de circonstance, soit, en l’occurrence, de condamnation de la tyrannie. Fontaine tiendra à magnifier l’esprit de résistance intrinsèque à toute poésie authentique » et c’est ainsi qu’un numéro spécial La Poésie comme exercice spirituel plaidera pour un poésie en quête de la connaissance intérieure.
En sorte qu’en janvier 1941, paraît à Alger le n°12 de la revue Fontaine, où se dessine « une sorte de front des poètes, des écrivains, des journaux, revues, publications oeuvrant, à contre-courant du pouvoir, pour affirmer une résistance de l’esprit ». « Pour Fontaine, la défense de la poésie était indissociable de celle des innocents persécutés, en l’occurrence les juifs, non seulement traqués par les nazis, mais mis au ban de la société par l’Etat français. Un texte de Max-Pol Fouchet… constituait une sorte de manifeste », définissant « le sens de notre engagement poétique à l’époque alors d’une déshumanisation forcenée ». Et GEC d’ajouter : « Ces pages m’étaient preuves de la pérennité, envers et contre tout, d’une vie à visage humain. Elles m’aidaient à croire en l’avenir, malgré l’horreur régnante : demain rejetterait au néant le monde de crime et de mort qui nous emprisonnait ».
Septembre 1941 est marqué par les rencontres de Lourmarin,  organisées par l’association artistique Jeune France sous l’égide de Pierre Schaeffer et Emmanuel Mounier. « Je tenais Emmanuel Mounier en grande estime » pour les thèses exposées dans sa revue Esprit « en quête d’un progrès social soucieux de respecter la liberté de la personne humaine ». Outre Pierre Emmanuel et Loys Masson, GEC y sympathise avec Max-Pol Fouchet : « Ma rencontre avec Max-Pol Fouchet fut enthousiaste et fraternelle ».
1943 marque une étape dans l’action résistante de GEC : la revue ne parvient plus dans l’Hexagone ; GEC, qui souffre d’être coupé de l’action collective de résistance intellectuelle, projette de publier un cahier d’hommage à Fontaine mais doit y renoncer,  notamment sous la pression d’Aragon qui « régnait sur l’ensemble de la jeune poésie de résistance ». C’est alors qu’un bref message adressé de Tanger par Georges Blin demande à GEC de recueillir des textes, de les lui envoyer afin qu’il les communique à Max-Pol Fouchet pour les publier. GEC accepte cette mission, sans savoir encore comment il va l’assumer. Queneau, Leiris seront les premiers à lui fournir des textes.
Pour déjouer la surveillance, GEC ne manquera pas de varier les lieux d’où il postera ses envois destinés à Fontaine. Il n’en reste pas moins sujet parfois à de vives angoisses au cas où il se ferait prendre.
Quand il recevra, à l’automne 44, l’ensemble des numéros (25 à 36) de Fontaine parus depuis novembre 42, GEC se jettera dans leur lecture, tel « un homme affamé ». Il y retrouvera entre autres deux poètes nouveaux, Francis Ponge, avec Le Parti pris des choses et Eugène Guillevic avec Terraqué, admiratif plus que jamais de « l’engagement fervent » de son ami Max-Pol Fouchet : « ce m’était une joie de reconnaître dans la plupart des cahiers la présence des écrits que j’avais envoyés clandestinement comme « autant de bouteilles à la mer ».
Notons encore que dès la fin de 1943 étaient parachutés par la Royal Air Force, mêlés aux armes dans les containers, des exemplaires miniaturisés de Fontaine qu’un maquisard pouvait tenir dans la paume d’une main : « c’était une autre arme, celle de l’esprit, celle de la pensée, de l’imagination et de la poésie ».
Les commémorations que GEC dépeint ensuite avec finesse montrent que la résistance intellectuelle et spirituelle est une résistance qui est restée secrète et n’a pas été reconnue. Au lendemain de la guerre, GEC continuera avec plaisir sa chronique sur les livres de poésie dans Fontaine.

Le Temps d’apprendre à vivre est un document d’importance sur l’histoire collective autant que sur le rôle de la littérature, à travers la revue Fontaine, pendant la guerre.
Il faudrait encore parler de personnages originaux dont GEC narre l’étonnante histoire, comme le cousin Vassili ; d’anecdotes hautement comiques. Le livre est à cet égard composé d’une grande variété de tons. Par exemple, le chapitre XXI, qui relate la visite du Maréchal Pétain à Limoges, est remarquable par la colère à peine contenue, l’ironie cinglante d’un Clancier dont l’esprit critique est plus aigu que jamais.
Ce qui frappe, c’est l’acuité du sens critique, l’ouverture et l’honnêteté d’esprit d’un homme ennemi de toute position partisane, qui appelle de toutes ses forces « l’avènement du Bien ».
Béatrice Marchal



dimanche 8 mai 2016

Samedi 21 mai 2016: Les Mémoires de Georges-Emmanuel Clancier , Le Temps d’apprendre à vivre.

 Aliénor

Cercle de poésie et d'esthétique Jacques G.Krafft

 

a l'honneur de vous inviter à la séance du
Samedi 21 mai 2016 à 16 h 15 précises

à la Brasserie Lipp
151, Boulevard Saint-Germain à Paris 6ème


 Les Mémoires de

Georges-Emmanuel Clancier :

Le Temps d’apprendre à vivre.

(Éditions Albin Michel)


Séance coordonnée par Béatrice MARCHAL